Entre fermeture des boites de nuit et annulation des mariages et autres évènements privés, les DJ ne peuvent plus vivre de leur passion depuis un an. A Grenoble, ils sont plusieurs à occuper une autre profession qui leur a permis de tenir… davantage financièrement que moralement.
Adrien Lampasona, alias DJ Drie Grenoble, n’a pas sorti ses platines depuis presque 6 mois. « Ça fait tellement longtemps que je ne sais même plus où elles sont », soupire-t-il en fouillant dans son garage. Sa dernière prestation, c’était le 3 octobre dernier.
Après avoir retrouvé son matériel, ce jeune DJ de la métropole grenobloise souffle dessus pour évacuer la poussière qui s’est accumulée. Depuis le début de la crise, il ne pratique plus beaucoup : « Avec le temps, j’ai appris à mixer pour les autres. J’aime voir les gens danser devant moi. Mixer tout seul à la maison, ça me plait moins. »
Le week-end précédant le premier confinement, Adrien animait un mariage lorsqu’il apprend que les restaurants doivent fermer à minuit le soir-même : « Le mariage a dû finir plus tôt. Certains invités venaient de l’étranger et avaient peur de ne pas pouvoir rentrer chez eux », se souvient-il. Depuis, cet autoentrepreneur de 25 ans a délivré trois prestations sur 18 normalement prévues. Son chiffre d’affaires qui tourne habituellement autour de 30 000 euros est dix fois moindre cette année. Heureusement qu’a côté de sa carrière de DJ, il occupe un deuxième emploi très éloigné de l’univers de la fête : technicien de bureau d’étude en mécanique. Mais aujourd’hui, c’est presque comme si c’était son seul métier : « A part de la relation client, je ne fais pas grand-chose en tant que DJ. » Il continue effectivement de recevoir beaucoup de demandes de personnes dont les mariages ont été reportés. « C’est hallucinant, mais difficile de fixer une date avec la crise. Ça reste très flou. »
Un flou « total » pour Chriss Palmer. Ce DJ d’aujourd’hui 39 ans a démarré dans une discothèque grenobloise il y a 25 ans, avant de faire le tour des clubs en France et à l’international. Estimant que les boites de nuit sont « en perdition », cela fait quatre ans qu’il se concentre davantage sur les soirées privées.
Depuis le début de la crise, il a choisi de se réfugier dans la production. C’est sous les combles de sa maison située à 20km de Grenoble qu’il a aménagé son studio : platines, enceintes, lumières, ordinateur, clavier musical, et même une boule à facettes suspendue au plafond. A part quelques prestations « en live » sur les réseaux sociaux qui lui ont déplu par le manque de public physique, il a passé la majeure partie des deux confinements à composer : « Ça m’a pris tellement de temps que je ne pensais même plus à mixer. Ça ne me manque plus tant que ça. » S’il a un point positif à retenir de cette crise, c’est qu’il a pu collaborer avec des artistes internationaux, eux aussi confinés. En revanche, il déplore le manque de soutien médiatique, notamment pour la diffusion de ses sons : « Les radios locales sont censées aider les artistes locaux mais elles ne le font pas. Les DJ sont délaissés. », tranche-t-il.
La crise sanitaire a mis en évidence la situation instable de ce métier-passion. Il a alors décidé de faire évoluer son autre carrière. Depuis quatre mois, il est passé chef d’équipe chez Eiffage Énergie. Un nouveau rôle qui lui prend bien plus de temps. Sa carrière de DJ touche bientôt à sa fin : « Encore un ou deux ans et je pense que j’arrête. J’estime que j’ai fait le tour et je veux passer plus de temps avec ma famille. »
Laurent Lavis, un autre DJ de la scène grenobloise spécialisé dans les mariages, avait aussi pensé à arrêter il y a quatre ans. Mais sa passion a pris le dessus sur la fatigue et à 46 ans, il jongle entre celle-ci, son autre travail et sa vie de famille. Son appartement près du centre-ville témoigne de cet équilibre, entre jouets d’enfants qui trainent par terre, et barres de LEDs multicolores fixées au plafond qui une fois les volets fermés donnent l’impression d’être en boite de nuit.
Comme pour Adrien et Chriss, cette double vie lui a permis de tenir cette année : « Deux de mes confrères qui sont DJ à plein-temps ont tout arrêté à cause de la crise. Moi j’ai la chance d’avoir cette double casquette. » Mais la chaleur d’une piste de danse lui manque, et Laurent le ressent dans son quotidien : « Je pense que je suis moins performant et moins souriant dans mon autre travail. Avant quand j’avais une semaine un peu difficile, je savais que j’allais respirer le week-end en animant une soirée. Mais maintenant, je ressens un gros manque d’oxygène. »
Malgré quelques prestations aux dates encore incertaines et un peu de production, tous les trois ont l’impression de ne plus être réellement DJ depuis un an. Ce qu’ils regrettent le plus du monde d’avant, c’est de voir leur public « se lâcher », « s’amuser ». « C’est de les rendre heureux », résume simplement Adrien. L’aspirateur à la main, il évacue la poussière de ses platines avant de les ranger de nouveau jusqu’à une date indéterminée.
Fabian Castillo Rodriguez
Merci à tous les intervenants.